Transformer ma peur d’oublier en une organisation bien huilée
Quand j’étais freelance, j’étais constamment obnubilé par le fait d’aller au bout des choses, sans ne laisser aucune miette à l’imperfection. Chaque tâche, aussi infime et secondaire soient-elles, me coûtait une énergie mentale de dingue. Je m’acharnais dessus pour qu’elle soit réalisée à la perfection. Le souci, c’est que ma to-do-list grandissait à vue d’œil au fil de la journée.
Par peur d’oublier, je traitais tout au fil de l’eau. Conséquence, je ne concentrais pas mes efforts sur les tâches à impact, celles qui me faisaient avancer significativement dans mon business. J’étais dans un rush permanent.
“J’oublie ma bonne idée du moment, je vais forcément en payer le prix plus tard”
Quand j’avais une idée en tête, je m’empressais de la concrétiser. Même si j’étais déjà lancé sur l’écriture d’un article, d’une page web ou que sais-je, quelque chose au fond de moi me poussait coûte-que-coûte à me concentrer sur “l’idée du siècle” qui venait de germer dans mon esprit.
J’étais obnubilé par ça, je ne faisais qu’y penser. J’avais cette sensation que, si je ne traitais pas tout de suite cette information, je perdrais à tout jamais le “flow créatif” qui me donnait la sensation d’être comme transcendé. Si, par malheur, j’osais y revenir, ne serait-ce qu’une heure plus tard, je m’imaginais perdre l’ingéniosité que j’avais lorsque cette “idée de génie” m’effleurait l’esprit. Je craignais que la concrétisation de mon idée ne soit pas aussi bonne qu’au moment où je l’avais imaginé. Je perdrais toute notion de comment bien aborder le sujet ou de résoudre le problème.
Je me souviens toujours de ces moments où je pensais avoir dégoté la méthode miracle pour écrire le copy (= le contenu écrit) de mon site, de mes posts LinkedIn, des articles pour mon blog. Il y a eu un nombre de fois incalculable où j’ai repensé le design de mon site, ma stratégie d’acquisition client. Je pensais avoir décroché la lune.
Le souci, c’est que ça me hantait la nuit. Je dormais 3 h et je me réveillais avec ces pensées en tête, tournant à la vitesse d’un tambour de machine à laver en mode essorage. J’étais pris dans une boucle infernale, dans laquelle il m’était impossible de sortir.
Le lendemain matin, la tête enfarinée par une mauvaise nuit de sommeil, je me levais avec un brouillard mental. Plus rien n’était si clair et je m’en voulais. J’avais perdu cette clarté d’esprit de la veille (ou de la nuit), mon idée ne scintillait plus comme le clair de lune.
En vérité, c’est juste que j’étais trop dans l’émotionnel. Je prenais à cœur chaque idée comme si c’était le saint-Graal, comme si ma vie en dépendait, que si, je manquais cette opportunité de la saisir, je perdrais tout.
Tout ça me fait penser à une peur similaire, celle de manquer (le FOMO, Fear of Missing Out). Les deux sont liés et même parfois confondus.
Quand j’ai peur d’oublier, souvent, se cache ma peur de “manquer l’opportunité de…”, comme si elle ne représentera plus. Le train des bonnes idées est passé, il ne repassera jamais. Je me souviens de cette période de freelance quand je postais 4 à 5 fois par semaine. J’avais le sentiment de manquer l’opportunité de générer des clients si je ne le faisais pas. Je m’étais aussi créé cette fausse impression, que si je ne le faisais pas, j’avais raté ma journée. Je considérais ces fausses illusions comme des objectifs.
Cette peur de manquer est profondément vicieuse, car avec le temps, je me suis rendu compte qu’elle se nourrissait d’elle-même, et me donnait un sentiment d’inachevé qui grandissait en intensité au fil de mes journées.
J’étais en permanence frustré, car je voulais toujours plus. J’avais posté sur LinkedIn, écrit un article de blog pour un client, prospecté 4 clients, mais ce n’était jamais assez.
Je m’auto-démotivais avec de fausses croyances, comme quoi je n’en avais pas assez fait. Et je pense que c’est ça qui a tué mon business dans l’œuf : chaque journée se concluait sur de la frustration. Petit-à-petit, cette démotivation grandissante m’attaquait comme un cancer.
Avec le recul, j’ai remarqué que chaque “idée révolutionnaire” me procurait une sensation intense mêlant joie et excitation. Ça redonne un élan de nouveauté à notre quotidien, parfois (ou trop souvent) noyé dans la monotonie d’un travail trop régulier et constant. Au début d’un projet, c’est ce qui nous motive à le concrétiser sur le champ. On commence à travailler dessus, puis au fil du temps, on se heurte à la difficulté du terrain.
“C’est énergivore d’écrire”,“C’est dur d’être régulier”
“J’ai pas envie ce matin, pourquoi devrais-je me forcer ?”
“J’imagine ce qui m’attend, laisse tomber, flemme”
On peut aussi se raconter de fausses histoires du genre :
“J’ai déjà essayé de faire du TikTok, ça n’a pas marché pour moi”
“J’ai posté 5 fois par semaine sur LinkedIn pendant 3 mois et je n’ai pas eu de clients”
S’ensuit des conclusions hâtives sur des expériences qui n’ont pas bien fonctionnées pour nous. On finit par les considérer comme des vérités absolues.
Souvent, ce sont de fausses excuses utilisées pour s’auto-rassurer et se dire que “ça ne vient pas de nous si on a échoué”.
J’ai voulu briser ce cercle de déception qui se répétait encore et encore. C’était vraiment une perte de temps. Avant de me lancer dans un projet de but en blanc, je me pose désormais les questions suivantes :
“Quels sont les types d’attente que j’ai en termes de résultats ? CA, nombre de clients, secteur ?”
“Mes objectifs sont-ils atteignables ?”
“Quelqu’un de mon niveau l’a-t-il déjà fait avant moi ?”
“Est-ce que je vais tenir le rythme sur le long-terme ?”
“En combien de temps ?”
Prendre du recul sur mes pensées limitantes
C’est une affaire d’entraînement. En fait, le cerveau humain est tellement malléable qu’on peut l’entraîner à presque tout. Cet entraînement est en fait la création d’une nouvelle habitude. Pour prendre du recul sur mes pensées négatives, celles qui me limitent à une vérité absolue, je me suis entraîné comme tout novice, avec des pensées émotionnellement peu intense, facile à reconsidérer.
Quand je sentais l’émotion et le stress grandir en moi, je me répétais :
“Tu verras demain. De toute façon, que ce soit demain ou maintenant, qu’est-ce que ça va changer ? Rappelle-toi, ton jugement est plus impartial le lendemain. Tu es moins sous l’emprise de tes émotions.”
Voyant que j’arrivais à prendre du recul sur ces idées à faible impact, je m’attaquais de plus en plus à des idées de plus en plus importantes.
Un post LinkedIn, puis un article de blog, puis une stratégie d’acquisition client, etc.
Je prenais de plus en plus confiance dans le fait d’attendre plus tard, de ne plus être dans l’action immédiate, dans le rush de l’instant présent.
Aujourd’hui, je ne dis pas que tout est parfait. J’ai encore de nombreuses pensées de ce genre, mais je suis conscient de mes travers. Je suis conscient (la plupart du temps) quand je repars en vrille. Alors, je stoppe tout et je me recentre sur moi-même :
“Est-ce que ça doit vraiment être tout de suite ? Quels vont être les impacts directs, dans le moment présent ?”
Mes actions, bonnes ou mauvaises, auront un réel impact si je suis régulier et constant dans leur application, pas si ce ne sont que des coups d’éclat. Dis comme ça, je suis tranquille, j’ai le luxe de reporter à plus tard. Un jour, une semaine, ce n’est pas ça qui va changer quelque chose. Si je veux jouer au jeu du long-terme, il n’y a pas d’urgence.
Résoudre les problèmes au fil de l’eau, c’est stressant
Quand un problème se présente à moi, j’ai envie de le résoudre sur le champ. J’ai envie de le traiter de suite pour que “ça sorte de la tête et ne plus y penser”.
Cette phrase, je l’ai entendu mainte et mainte de fois, de la part de mes parents. C’est une solution efficace pour ne pas se laisser submerger par ses émotions, sur le papier.
En pratique, c’est rarement applicable, car soit, on est déjà pris par autre chose, soit la tâche est tellement longue à réaliser qu’on ne peut pas la traiter entièrement en une fois.
On est humain, donc on est obligé de se couper de son travail : on doit manger, aller aux toilettes, avoir une vie sociale et revenir sur ce qu’on entreprend en plusieurs fois.
On doit aussi (et surtout) traiter d’autres tâches plus urgentes de notre quotidien, celles qui ont un impact immédiat.
J’ai un exemple concret à vous proposer, ce serait celui de mon nouveau travail. Quand je suis arrivé chez Urban Tri Sports, je ne m’attendais pas à autant de choses à améliorer : réorganiser le stock de fond en comble, créer une méthodologie d’encodage des articles, refaire un inventaire complet de tous les produits… Au début de ma mission, j’essayais de garder mon calme. Je vais traiter tâche par tâche, calmement. Si je n’ai pas fini, je me remets au travail plus tard, un jour ou une semaine après, selon les urgences du moment.
Sauf que je me suis rendu compte qu’il y a toujours des urgences à traiter qui viennent sur le dessus de la pile et, de surcroi, aucune gestion des priorités (sorry boss, je sais que tu lis mes articles). Du coup, vous vous imaginez le stress quotidien : on travaille dans l’urgence, comme dans un service d’hôpital ou chez les pompiers.
“Un client entre en magasin, on doit s’occuper de lui. Puis, on a reçu 50 colis, on doit se concentrer dessus. Mais le stock des chaussures n’est pas complètement rangé, on doit aussi terminer ça. Oui, mais l’encodage des produits livrés aujourd’hui doit être fait avec la bonne description, comme on a dit l’autre fois. Oui, mais pas le temps d’aller au bout, car il faudrait faire l’inventaire complet de la marque.”
Bref, c’est le bordel.
Au final, la réalité nous rattrape et chaque tâche est bâclée pour vite passer à la suivante de la pile des urgences. Évidemment, c’est une pile infinie, sinon, ça ne serait pas drôle.
Se décharger du stress mental des tâches à réaliser (et ne pas les oublier)
Lors de ces dernières années, j’ai trouvé que l’écriture avait un impact positif sur mes pensées limitantes. Plus je les pose sur papier, plus il m’est facile de m’en libérer. C’est surtout un joli message subliminal à mon cerveau qui dit “c’est noté, je n’ai plus à y penser, je peux me focus sur l’instant présent”. C’est idéal pour canaliser ma peur d’oublier — et réellement ne pas oublier ce que j’ai à faire.
Et c’est précisément ce que j’ai mis en place chez Urban Tri Sports. J’ai créé un tableau de tâches que chaque employé peut remplir avec ses dernières tâches du moment (au lieu de noter chacun dans son coin sur une feuille volante prise dans l’imprimante).
C’est aussi mon moyen égoïste à moi de gérer une charge de travail infinie (et de limiter mon stress).
J’ai fait exprès de mélanger les tâches urgentes et les tâches quotidiennes (de fond) ensemble, car c’est exactement la composition d’une journée type. Bien sûr, c’est encore au stade expérimental et tout ne sera pas renseigné dedans, mais au moins, on évite d’oublier certains projets que l’on avait en tête et l’importance qu’on leur avait accordé (date, priorité, catégorie).
Ce qui est marrant dans cette histoire, c’est que je n’ai jamais créé de tel tableau quand j’étais freelance. J’étais trop dans l’émotionnel (et dans le rush permanent) pour y avoir pensé.
Pourtant, c’est une façon de procéder qui pourrait être efficace pour beaucoup de petits business et entreprises. C’est ce qu’on appelle de l’optimisation de process.
D’expérience, j’ai identifié trois raisons qui rendent cette méthode difficile (et frustrante) à mettre en place :
- Changer les habitudes des gens déjà présents depuis plusieurs mois, voir années, dans l’entreprise. On peut se heurter à un non-respect des règles (ou certaines).
- Accepter l’imperfection du résultat. Jamais ce que l’on imagine se concrétisera à 100%. Il y aura toujours un écart entre la théorie et la pratique.
Cf. point n°1. - S’accoutumer à la lenteur de l’évolution. Changer un système prend plusieurs mois, voir même années, dû aux deux premières raisons.
Cf. point n°1.
Vous l’avez bien compris. Pour mettre en place un nouveau système, il faut une participation de tout le monde. Il faut que les gens y croient pour l'appliquer.
En parallèle, je suis en train de le tester pour ma vie personnelle. L'avantage, c'est que je n'ai pas besoin de convaincre qui que ce soit, car je crois en ma solution. Ce que je constate pour le moment, c'est que je parviens à relativiser sur le degré d’urgence des tâches que j'ai à réaliser.
Quoiqu'il en soit, je referai une réunion avec moi-même sur ma peur d'oublier d'ici un mois, histoire de voir ce que m'a apporté ce tableau de priorisation des tâches.
Je finirais par une réflexion que j’ai eu ce matin avant de déjeuner (je l’ai noté dans mon journal) :
“Rien n’est urgent. Tout peut être reporté au lendemain, tant qu’il n’y a pas question de vie ou de mort. Il y a seulement une chose qui peut-être difficilement reporté : le moment présent. Une personne qui vous parle, une voiture qui vous fonce dessus, une journée de travail, vous devez agir maintenant, pas plus tard. Sinon, vous allez forcément en payer les conséquences.”