Comment le sport m’aide à me détacher de l’opinion des autres ?

Nuancer mon besoin de reconnaissance, celui d’être validé par mes proches 

Au fond, ce qui m’aminait dans tout ça, c’était la reconnaissance que j’aurais pu avoir, comme si je devais compenser quelque chose que je n’avais pas assez reçu de la part de mes parents. Toutes les blessures subies pendant l’enfance, ça laisse des traces indélébiles dans l’âme. Ça nous conditionne pour le reste de notre vie. J’ai fait du sport ma thérapie pour guérir et être en paix avec tout ça.
Mais finalement, ai-je fait le bon choix ?

Pour être honnête, je ne suis pas sûr qu’entretenir mon besoin de reconnaissance, puis de le satisfaire par le biais de performances sportives, m’a beaucoup aidé. Ça ne faisait que nourrir mon insatiable faim d’être validé par mon entourage. Un peu comme une drogue : on en prend une fois, et on en redemande plus fréquemment et à plus grandes doses.
Prenons l’exemple d’un runner. Une fois qu'il a couru un marathon, celui-ci va vouloir s’illustrer sur une plus grande distance, puis augmenter encore et encore, toujours dans le but d’impressionner de plus en plus ses proches. 

Je préfère briser ce cercle vicieux bien avant.
Je veux travailler sur ma relation vis-à-vis du sport. Je ne cours pas pour rendre fier qui que ce soit. Je cours pour moi, pour mon propre plaisir. Bien sûr, mon besoin de reconnaissance ne s’éliminera jamais à 100%, ça restera un mélange d’émotions.

Aujourd’hui, je suis conscient que, naturellement, je veux être encore validé par mon entourage. Quand j’entreprends de faire une course ou d’aller m’entraîner, je me pose donc toujours la question : 

“Est-ce que je le fais pour moi ? Ou…
Pour frimer sur Strava, Instagram, montrer à la terre entière que je cours alors qu’il fait froid ?
Est-ce que je cours pour recevoir des compliments de ma copine, de mes amis, de mes collègues ?”
 

Si je cours 3 km, j’ai couru pour rien — selon la pensée populaire. Je tiens compte très (ou trop) souvent de l’avis des autres pour me remettre en question.
Mais au final, qui est-ce qui court ces 3 km ? Moi ou les autres ? 

C’est bel et bien moi.
Je suis celui qui ressent directement les bénéfices sur mon esprit et mon corps, pas les donneurs de conseils.
Alors depuis quelques semaines, quelques mois, j’essaie de me souvenir que je cours pour moi, pas pour les autres. 

Surfer sur la critique de ma performance

En cas de contre-performance, j’étais aussi tiraillé par la peur de décevoir ma famille et mon entraîneur. Un blâme, des reproches rabaissants du style : 

“Qu’est-ce que tu as fait là ? T’es pas à l’entraînement ici, on est pas venu pour faire de la figuration.”

C’était monnaie courante. Il y en a pour qui ce genre d’entraînement “à la dure” fonctionne très bien. Pour moi, c’est tout l’inverse. Ma confiance en moi dégringole, je préfère de loin les encouragements qu’on retrouve dans les bons vieux bouquins de développement personnel. 

“Même si tu as fini dernier aujourd’hui, tu en as plus appris sur toi-même qu’en étant premier, dans la facilité”

Certainement, pour les durs à cuire à l’ancienne, ça peut sonner comme une philosophie de “femmelette”.

Cette préférence pour les encouragements, elle est intimement liée à mon besoin d’être validé par les autres.

“Oui Jérémy, tu progresses, c’est bien. Bravo, tu as du talent, je suis fier de ta course. Belle performance.”

C’est mon moteur, mon carburant, comme si les autres avaient le pouvoir absolu de décider de la crédibilité (ou non) de ma performance. 

Reposer sa motivation sur l’opinion des autres, c’est avancer sur un terrain glissant. Il est impossible de satisfaire à 100% le besoin de tous nos proches, tout le temps et en toutes circonstances. Chacun voit le monde selon son filtre de réalité, chacun a ses bons moments et ses moments de faiblesse.
Certains vont considérer que courir un marathon en 4h relève de l’exploit alors que pour d’autres, c’est une contre-performance à oublier au plus vite, voire même que c’est honteux.

Et le lendemain, les plus médisants reviendront sur leur décision, car la veille, ce n'était pas le bon moment pour en parler, leur chat avait pissé sur le canapé.

Beaucoup trop de paramètres variables (et qu’on ne maîtrise pas) devraient être pris en compte !
La course à la reconnaissance est déjà perdue d’avance, non ?

Maintenant, je me répète à moi-même que la performance que je ferais, c’est celle qui m’appartient, selon ma réalité, mon mood du moment.

Bien sûr, rien n’est parfait et il m’arrive de me braquer quand on juge sévèrement ma performance. Mais l’important, c’est de toujours relativiser avec mes propres moyens, toujours dans l’esprit de faire tous ces efforts pour moi. Rien que pour moi.

Se détacher du mindset “cour de récré”

Mes coéquipiers, eux, ne me critiquaient pas en cas de contre-performance. Cependant, j’avais quand même ce sentiment d’être mis à l’écart, d’être snobé par plus fort que moi (les premiers coureurs du peloton) puisque je n’étais qu’un “misérable 10ème”.
Je n’avais pas l’honneur et la chance de leur parler. 

Ce type de comportement exclusif se retrouve souvent chez les ados, au collège, qui font très attention à leur image. En tant que leader d’un groupe ou beau gosse de la classe (généralement, ça va de paire), une règle de bon sens populaire dit qu’on ne peut pas parler aux têtes de turc et aux losers de la cour de récré, par peur d’être pris aussi pour cible et de véhiculer “une mauvaise image”.
Les ados se collent donc en permanence des étiquettes entre eux, et de fait, se catégorisent arbitrairement en “excellent” ou “mauvais”, en laissant rarement place à des points de vue nuancés entre ces deux extrêmes. 

Ça colle pas mal avec cette période de ma vie quand je faisais du vélo en compétition, quand j’avais alors 15-16 ans. J’étais ado, et de surcroît, j’évoluais dans un peloton entouré d’enfants de mon âge. Les règles de la “cour de récré” étaient les mêmes.

Ceci dit, même à l’âge adulte, j’ai remarqué que certaines personnes n’évoluent pas et restent accrochées à ces modèles limitants de pensée. Pendant longtemps, j’ai moi-même fait partie de ce genre de personne. J’ai snobé pas mal de gens, qui d’apparence ne rentraient pas dans mes critères “pour être bien vu”. Je sais, c’était débile. 

Bien vu par qui au final ? Par tout le monde.
Je me souciais du regard des autres, plus que de ma propre opinion sur moi-même. Pendant des années, j’ai avancé comme ça. C’était logique pour moi, car c’était également lié à mes besoins de reconnaissance et de validation par les autres qui était profondément ancrés en moi.

J’ai décidé de franchir le pas, à petites doses : je me suis ouvert à différentes catégories de personnes sans me soucier du regard des autres, mais plutôt pour construire de vraies relations, sans s'attacher aux apparences.
Forcément, je me suis détaché naturellement des personnes qui faisaient attention à leur précieuse “image”. Par expérience, j’ai appris que ce sont précisément ces personnes-là qui sont limitées par le mindset “cour de récré”

Se jouer du malaise de la confrontation

Fondamentalement, je ne suis pas quelqu’un qui aime la confrontation. La compétition, l’adversité, tout ça, ce n'était pas vraiment pour moi. J’ai toujours abdiqué le premier, par peur de me faire écraser, en dépit de mes bonnes capacités physiques intrinsèques.

J’aime bien dire que je l’ai toujours jouer “safe”, bien calé dans l’aspiration de mes concurrents, à l’économie, pour finalement, les “sauter sur la ligne”, comme on dit dans le jargon cycliste. Toutes les échappées que j’ai entreprises se sont soldées par des abandons ou par un peloton qui me rattrape. Je finissais alors par lâcher prise avec le groupe au prix de mes efforts de début de course, mes jambes ne délivrant plus leur puissance habituelle, comme si mon cerveau, en un claquement de neurones, ordonnait à mes muscles d’abdiquer. 

J’étais tellement animé par la peur de me faire distancer par le peloton que je n’ai jamais vraiment réussi à lâcher prise sur cette émotion. Avec le recul, je me dis que j’aurais pu mieux faire — évidemment. Mais je me dis aussi que j’ai fait avec les armes que j’avais en ma possession à l’époque.

La confrontation avec quelqu’un, un débat musclé avec un ami, un désaccord avec ma copine, c’est ma bête noire. Quelques années auparavant, je n’envisageais même pas la possibilité qu’une personne ne partage pas mon point de vue. Je m’offusquais, je me braquais et j’insistais (si les circonstances me le permettaient) pour convaincre la personne d’adhérer à ma vision des choses. J’avais besoin que mon interlocuteur valide mon point de vue en le rendant crédible et valable en quelque sorte.

La compétition, pour moi, c’était synonyme d’affrontement entre plusieurs coureurs cyclistes qui ont pour objectif de gagner la course. Une fois le départ lancé, nous étions en conflit (peut-être inconsciemment) pour ne laisser la victoire qu’à nous-même et à personne d’autre. Au fil de la course, on pouvait se rendre compte que la première place était compliqué à atteindre. Puis le podium, puis le top 10. Et si jamais on se battait pour la victoire jusqu’à la ligne, le vainqueur aurait toujours raison. Il aurait remporté ce débat inconscient (et non dit) qui tourne autour de la victoire d’une course : 

— C’est moi le plus fort.
— Non, c’est moi.
— Pas d’accord, c’est moi, je te dis. Un point, c’est tout.

À la pédale, le vainqueur met tout le monde d’accord, sans que quelqu’un ait quelque chose à redire. 

Je n’ai jamais eu le dernier mot quand il s’agissait de compétition cycliste. Jamais je n’ai pu contester la victoire ou le podium. Quelque part, je me dis que c’est intimement lié à mon caractère, de volontairement s’écraser devant l’adversité quand la confrontation est trop forte, que mon adversaire est au-dessus de moi. Je perdais mes moyens.

Je pense que c’est parfois le cas aujourd’hui, même si j’ai trouvé des subterfuges pour assagir mes conclusions hâtives “tu es trop nul, tu n’y arriveras jamais”. Dans ces moments, j’essaye de toujours de me rappeler la phrase de mon entraîneur de l’époque qui nous répétait à mes coéquipiers et moi :

“Ils ont deux bras et deux jambes, comme vous.”

Cette phrase veut dire beaucoup.
Ce n’est pas parce que mes adversaires ont un gros palmarès, des cuisses musclées et une certaine aura qu’ils vont écraser toute la concurrence. Après tout, ils restent des êtres humains, comme tout le monde, avec “deux bras, deux jambes”, des émotions, des craintes et des peurs. Eux aussi, ils sont peut-être impressionnés par nos cuisses affûtées et l’aura qu’on dégage.
Finalement, qu’est-ce que j’en savais ? Peut-être même qu’il me craignait.

Aujourd’hui, je ne fais plus de vélo en compétition, mais je participe à certaines courses de running. Dans les moments de stress d’avant-course, je parviens à calmer cette peur de la confrontation :

“Qu’est-ce que j’ai à perdre finalement ? Rien, ça ne reste qu’une course après tout. Je ne joue pas ma vie. Je suis ici pour m’amuser et tester mes limites. Si ça ne marche pas, je recommencerai. Et si, dans le pire des scénarios, je ne parviendrais pas à remplir mes objectifs, je sais que je prendrais du plaisir à avoir au moins essayer.”

Ce genre de pensées positives m’aide beaucoup à remettre toutes mes craintes et mes peurs à la place qu’elles méritent. C'est-à-dire au stade de pensées, pas de vérités absolues et encore moins de croyances.

Pratiquer un sport avec un amour inconditionnel

Plusieurs fois, pendant des entraînements hivernaux à se congeler les doigts pendant 4 heures par -5°, je me suis demandé : “Qu’est-ce que tu fous là Jérem’ ? Sérieusement”. Un an plus tard, je décide d’arrêter la compétition sur route, un peu dégoûté de la difficulté de ce sport qu’est le vélo.

En même temps, je m’attendais à des victoires et des bonnes places. Je les voyais comme une sorte de reconnaissance pour le travail accompli. En contrepartie, je n’ai récolté que quelques top 10 et top 5, mais je n’ai jamais eu l’occasion de monter sur un podium — mise à part une fois. Mes capacités physiques n’ont pas pu me sauver — cette fois-ci.

Finalement, c’est un mal pour un bien.
Fort heureusement, je n’ai pas été récompensé par ma feignantise et mon manque d’assiduité à l’entraînement, ce qui m’a démontré que seul le travail et la régularité paient, pas seulement le talent et la génétique. 

Certains cyclistes arrivent à perdurer plus de 20 ans dans ce sport, sans forcément ajouter de grands résultats à leur palmarès. Ils affrontent la rudesse des entraînements hivernaux, ils avalent les séances d’endurance de 4 h de selle avec le sourire et l’envie de recommencer encore et encore. J’ai encore le souvenir qu’en arrêtant l’entraînement, ne serait-ce que deux semaines, je perdais une grosse partie de ma forme accumulée, comme si je devais tout reconstruire depuis le début.

“Qu’est-ce qui motive ces cyclistes vétérans à persister dans un sport si ingrat ?”

Une troisième corde vient s’ajouter à l’arc de la réussite : l’amour inconditionnel pour ce que l’on pratique, peu importe ce que c’est. Un sport, de la danse, du chant, de la peinture. Il faut aimer ce que l’on fait, sans limites. Faute de quoi, on finira par abandonner avec le goût amer de ne pas avoir accompli notre objectif, sans y avoir pris du plaisir en prime — horrible.

Je n’ai jamais vraiment fait du vélo en compétition pour me faire plaisir. J’ai pratiqué ce sport pour faire plaisir à mes parents, pour les rendre fiers. Je me suis trompé sur toute la ligne. Un sport, on le fait pour nous, sans attendre une reconnaissance de la part de qui que ce soit. Ça, je l’ai compris bien plus tard, 15 ans après. 

S’engager dans un sport aussi sérieusement, ça implique beaucoup d’aspects que les spectateurs et les proches ne s’imaginent même pas. Maintenir une nutrition stricte, un sommeil de qualité, faire face à la fatigue physique (et mentale) engendrée par la dureté des entraînements.

J’ai sous-estimé tous ces aspects et je m’imaginais que c’était “facile”. Dès les premiers mois d’entraînements, j’aimais bien la dynamique de groupe avec les coéquipiers, mais pas la compétition. Je ne prenais aucun plaisir à être compétiteur, car je ne parvenais pas à faire de résultats — ceux, du moins, auxquelles j’aspirais. 

Avec le recul, je n’aimais pas le vélo tant que ça. Rouler seul en était la preuve ultime : je détestais ça, car je n’avais personne avec qui me comparer. Oui, ce besoin de valider que “je suis plus fort que…” était si fort, si intense qu’il m’écartait de la réalité “est-ce que j’aime faire du vélo ?”.
Je ressentais aussi le besoin de parler à quelqu’un pour meubler le temps d’entraînement qui me semblait une éternité. Lors des séances en solo, je me sentais terriblement abandonné, seul face à l’effort, dans une certaine monotonie qui m’ennuyait. 

Aujourd’hui, je fais du vélo pour me déplacer en ville et aller au travail. J’y prends même beaucoup de plaisir, et aussi surprenant que ça puisse paraître, bien plus qu’à l’époque où j’étais compétiteur. 

Je slalome les voitures, je saute les trottoirs et les rails de tram, je dépasse la majorité des cyclistes (ce qui gonfle mon ego à bloc), je suis fier de voir que je mets 35 minutes pour parcourir 13 km en ville. Je me sens libre quand j’avale les pentes escarpées de la ville de Bruxelles. Je vais plus vite que n’importe qui dans cette ville. Je maîtrise mon vélo même mieux que jamais, avec parfois, des glissades maîtrisées en toute confiance — je pose ma jambe du côté d’où je tombe, certainement un réflexe tiré de mon passif de motard. 

Je ne me suis jamais senti aussi bien que maintenant sur mon vélo. Pourtant, je n’ai pas une bête de compétition, dopée à la dernière génération de carbone ultra-réactif avec une transmission électrique ultra-légère.

Le vélo, je l’aime pour ce qu’il est, à l’état brut. Je le prends tel qui l’est, avec sa beauté et ses défauts. Je l’aime tel qu’il se présente à moi, sans compétition, sans attente de résultats et sans monture à 10 000€. Je l’aime dans sa forme que j’estime la plus simple, celle que j’ai façonnée au fil de mes années d’expérience et de mes envies.